Depuis 5000 ans on se brosse les dents. La corvée légendaire qui nous assène de nous faire mousser les crocs deux fois par jour tient ses fondements dans des pratiques pour le moins absurdes.
Louxor, 1862. Edwin Smith découvre un Papyrus magistral, le plus ancien traité médical de l’Égypte antique que l’on connaisse. Le précieux manuscrit nous livre une recette de dentifrice utilisée trois mille ans avant notre ère. Composée de miel, de poudre de fruit de palmier et de terre de plomb verte, cet opiat était appliqué sur la denture à blanchir à l’aide de petites branches d’arbres dont les bouts étaient effilochés en fibres souples. Autrement dit à l’aide de brosses à dents…
Faisant haro sur la mauvaise haleine, les Égyptiennes utilisaient des masticatoires, le « pan », constitué de cardamone associée à des plantes odorantes.
Ovide plus loin dans le temps dira très joliment aux belles Romaines, « Les soins que vous donnez à cette agréable personne peuvent se deviner en apercevant l’incarnat rosé de ces lèvres, de vos gencives, ainsi que la brillante blancheur des deux rangées de perles qui illuminent votre petit visage ».
Si les traités ancestraux nous ravissent par leur souci de beauté et de charme dévolus aux belles dents, ils ne doivent pas faire l’impasse sur quelques points moins élégants. En Chine, en Assyrie ou en Grèce Antique les superstitions populaires s’emparent de la pâte dentaire. Des recettes pour le moins surprenantes sont préconisées. Composé de miction humaine, de plantes fermentées et d’excréments d’animaux, de graisse de vipère ou encore d’animaux calcinés, l’agrégat semble jouer un rôle dépassant toute fin médicale ou esthétique. Qu’ils soient destinés à chasser le démon ou le ver à l’origine de la douleur dentaire, les remèdes réservés à la bouche et à ses affections sont le théâtre d’inventions pour le moins étonnantes. Pour Pline l’Ancien, la cendre de tête de lièvre est un dentifrice. Quant à l’ancêtre de nos brosses à dents, le bâtonnet frotte-dent, il semble ne pas avoir été réservé au seul rituel de nettoyage dentaire et occupera une place importante dans les cérémonies et rituels religieux.
PRATIQUE D’ABLUTIONS PRÉSERVE CHARMANT MINOIS
Hippocrate est le premier à recommander l’usage du dentifrice et l’emploi du vinaigre en bain de bouche. Il sera également d’usage à Rome de se rincer la bouche avec de l’avoine cuite dans du vin et des roses séchées. C’est d’ailleurs à l’étymologie latine que nous devons le mot dentifricium, littéralement se frotter les dents. Topique de la beauté, la bouche était pour Apulée « le vestibule de l’âme, la porte des discours et le portique de la pensée ». Autant dire que les cosmétiques de la dentition n’auront de cesse que de se décliner en savantes préparations odoriférantes.
VOUS AVEZ DIT ABRASIF ?
Si les poudres destinées à l’usage buccal se répandent sous l’Empire romain, leur composition affiche des formules-chocs : verre broyé (aïe), sels d’ammoniaque (ouille), et carbonate de potassium (on commence les réjouissances) agrémentent un substrat de roses séchées au soleil. C’est au Moyen Âge que le blanchiment des dents s’associe à un but prophylactique et non à d’uniques fins de coquetterie. La prévention fait son apparition dans l’hygiène dentaire au XIVe sous la plume de Guy de Chauliac qui recommande l’utilisation de l’eau ardente pour se laver les dents, et donne différentes recettes de dentifrices. Au fil des siècles, les accessoires dentaires vont accompagner l’hygiène jusqu’à se décliner en somptueux bijoux rangés dans des boîtes ouvragées. Cure-dents d’ors et d’argents, petit cuiller à nettoyer la langue et escuretes s’assemblent en furgeoirs ou châtelaines de Chine, avant même le succès de la brosse à dents.
DE L'APPARITION DE LA BROSSE À DENTS
C’est en Chine dès le XVe siècle qu’apparaît la première brosse à dents constituée d’un assemblage de poils de sangliers fixés à une branche de bambou. Il faut attendre la première moitié du XVIIe pour retrouver le petit instrument en France. Recouvertes d’or et de torsades d’argent, ces brosses faites de crin de cheval inspirent encore méfiance.
Le chirurgien-dentiste Pierre Fauchard (1678-1761) bat en brèche les croyances populaires pour laisser place à une véritable démarche scientifique. En condamnant le charlatanisme, il redonne à l’opiat ses lettres de noblesse et préconise le lavage des dents avec une petite éponge fine trempée dans de l’eau pour fortifier les gencives et affermir les dents. Myrrhe, collutoires au gingembre, menthe et miel de rosat accompagnent les belles dentitions.
L'EAU, SOURCE DE VIE DES OPIATS DENTAIRES CONTEMPORAINS
Exit la poudre de pierre ponce et l’os de seiche. Éloignées des abrasifs traumatisants pour l’émail et la dentine, oublieuses de la formule craie-savon-menthol, les belles dents méritent de plus douces dispositions associées à nos dentifrices modernes. L’eau est un élément majeur de sa composition.
La source sulfureuse de la Grande Fontaine de Castéra-Verduzan célèbre pour ses vertus curatives — dont le médecin de Louis XV vante déjà les mérites pour le traitement des affections bucco-linguales — invite aux bains de bouches et gargarismes. Sa composition chargée en sels minéraux et oligo-éléments lui confère des propriétés thérapeutiques uniques et inégalées sur les gencives et les dents. De ce bond en avant dans le temps, laissons à Marmont, dentiste attitré de Napoléon, le dernier charmant mot : « J’aime encore mieux, au seul regard de vos beaux yeux, un sourire de votre bouche ».
Caroline Amberger