La saison des agapes est ouverte ! C’est sans doute là que se déroulent les plus beaux moments festifs, ceux qui marquent une mémoire pour toute une vie : à table. Et si en France, on parle d’Arts de la table, ce n’est pas un hasard.
De la porcelaine à l’argenterie, de la haute gastronomie à la cuisine du terroir, des vins aux codes de bonnes manières, la table concentre un véritable art de vivre, régi par des exigences, des modes et des rites qui peuvent paraître mystérieux aux néophytes alors que, en définitive, une seule qualité prime dans l’art de recevoir depuis des siècles : la délicatesse. Comme l’a écrit simplement le magistrat-gastronome, penseur de la gourmandise et de l’hédonisme, Jean Anthelme Brillat-Savarin en 1825 dans son ouvrage fondateur Physiologie du goût, ou méditations de gastronomie transcendante : ...
Car, il s’agit bien là de faire plaisir à ceux qu’on aime ou à ceux qu’on respecte. Et recevoir devient le miroir de ces affections. Balzac, Pantagruel moderne, jouisseur légendaire des plaisirs de la gastronomie, dans sa Comédie Humaine a d’ailleurs fait de la table et de ses bacchanales un théâtre social unique où se révèle en un plat ou en une attitude inévitablement les sentiments, les aspirations et la nature de ses personnages. Une table de réception révèle la générosité, la gentillesse, la sensibilité ou au contraire la rudesse et l’égoïsme. Au départ, l’étiquette qu’il faut respecter à table telle qu’elle a été écrite par exemple par la baronne Staff (qui n’était pas baronne) dans ses Usages du Monde - Règles du savoir-vivre en 1889 ou par la comtesse de Bassanville (qui n’était pas comtesse) en 1867 dans Code du cérémonial : guide des gens du monde en toute circonstance de la vie avait aussi pour but de codifier en rendant la vie plus douce, plus aimable ; à l’inverse de tisser des remparts sociaux, elle rassemble.
Ce cérémonial du bien-recevoir se déroule sans faillir dans chacune de nos Officines à travers le monde, où élégance et amabilité se combinent dans une mise en scène parfaite pour que le client se sente unique, choyé. A l’Officine Universelle Buly, les papiers cadeaux aux pliages sophistiqués, les étiquettes calligraphiées, et les objets à monogrammes sur demande font écho à ces arts de la table français et peuvent eux-mêmes intégrer avec grâce cette mise en scène d’exception.
Au XVIIIe siècle, des innovations notables commencent à transformer les habitudes de la table : l’usage de la fourchette se propage, ainsi que celui des verres de tailles différentes et de la cristallerie, la porcelaine devient plus blanche grâce au kaolin. Le service à la française se compose d’une trentaine de plats tous posés simultanément sur une grande table constituant – dans un cadre fastueux – des architectures gastronomiques étonnantes. Comme ces pyramides de charcuteries ou de fruits de mer au château de Versailles moquées
ainsi par Madame de Sévigné : « Une de ces pyramides qui font qu’on est obligé de s’écrire d’un bout de la table à l’autre. » Pendant ce service, les convives dégustaient donc souvent des plats froids et seulement ceux posés
à côté d’eux.
Au XIXe siècle, la table « moderne » se met en place avec l’arrivée du service dit « à la russe ». Les plats arrivent sur la table les uns après les autres, permettant à tout le monde de profiter des mêmes mets au même moment. L’assiette est disposée au centre à trois centimètres du bord de la table, le couteau à droite, la fourchette à gauche, les différents couverts sont posés dans l’ordre de service des plats, de l'extérieur vers l’intérieur. L’essor spectaculaire de la bourgeoisie durant ce siècle fait le succès de la verrerie et de l’argenterie fabriquées à échelle industrielle grâce à la galvanoplastie notamment. Le dressage de table se conçoit alors dans une esthétique maximaliste : avec compositions florales ou de coupes de fruits extraordinaires, centre de table d’orfèvrerie et chandeliers, etc. Hedwige de Polignac dans L'Art de recevoir en 1964 décrit ainsi ce foisonnement soudain : « Les tables recommencèrent à s’encombrer d’objets, sous Napoléon III : carafons, salières, guirlandes de fleurs, pyramides de fruits. Il y eut des surtouts énormes, d’énormes candélabres, ou bien une recherche extrême : la Castiglione posait une haute corne d’abondance en opaline rose sur une table entièrement incrustée de fleurs, bordée d’un filet de cuivre ciselé."
Avec le service à la russe,les invités ayant une place assise fixe, le porte-nom fait son apparition, pourque chacun sache où s’assoir. Avec l’Officine, le Baume des Muses, petitboitier frappé des initiales ou encore, plus excentrique, un petit peignegravé en lettres d’or d’un prénom, peuvent faire office de porte-nomsoriginaux. La Bougie Odoriférante, avec sa cloche de verre fermée pourne point gêner la saveur des mets et son pot de marbre, décore avec lustre unetable, attendant patiemment la fin des agapes pour être allumée, et fairebriller les yeux des convives au moment où les liqueurs font leurapparition.
Tous les manuels de savoir-vivre du XIXe siècle à nos jours s’accordent sur un point : il est conseillé de recevoir selon ses moyens, en d’autres termes, point n’est besoin d’éblouir avec des mets coûteux, il s’agit de concevoir un repas pour plaire aux invités, les ravir que ce soit avec simplicité ou avec effusion. Ce qui n’empêche pas de faire preuve de créativité, voire d’excentricité... Dans son livre de gastronomie Les Dîners de Gala en 1973, Salvador Dali relève le pari de rendre la table surréaliste avec des plats conçus par La Tour d’Argent, Maxim’s ou Le Train Bleu répertoriés par chapitres Les délices petits martyrs (hors d’œuvre) ou Les suprêmes de malaises lilliputiens (entrées) portant des noms évocateurs « dindonettes mexicaines »,« œufs de mille ans » ou encore « buisson d’écrevisses aux herbes des vikings ». Comme Dali l’écrit mystérieusement dans ce livre :
Autre temps, autre ambiance, il est aussi possiblede s’inspirer des natures mortes hollandaises du XVIIe siècle pour décorer la table avec des coupes de fruits et de fleurs, ou d’imaginer des menus par couleur à la manière du « Régime Chromatique » de l’artiste Sophie Calle en 1997 qui a conçu six repas pour les six jours de la semaine en six couleurs (orange, rouge, blanc, vert, jaune et rose). Joris-Karl Huysmans dans son livre À Rebours (1884), chef d’œuvre de la littérature décadente décrit un « Dîner noir » donné par le Baron des Esseintes à ses convives où les mets eux-mêmes sont couleur d’encre : « Dans la salle à manger tendue de noir, ouverte sur le jardin de sa maison subitement transformé, montrant ses alléespoudrées de charbon, son petit bassin maintenant bordé d’une margelle de basalte et rempli d’encre et ses massifs tout disposés de cyprès et de pins, le dîner avait été apporté sur une nappe noire, garnie de corbeilles de violettes et de scabieuses, éclairée par des candélabres où brûlaient des flammes vertes et, par des chandeliers où flambaient des cierges. »
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