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Plastique et cosmétique : le hic

L’histoire commence en 1957. Fraîchement popularisé, le plastique (du Grec plastikós, modeler) bouleverse le champ créatif etélectrise les cercles intellectuels. André Courrèges en fait des Go-go boots, Verner Panton, des fauteuils, Jean-Louis Chanéac, des architectures. Roland Barthes, séduit par la polymorphie du plastique et par ses retentissements démocratiques, ose le qualificatif de « matière magique ».

L’histoire commence en 1957. Fraîchement popularisé, le plastique (du Grec plastikós, modeler) bouleverse le champ créatif etélectrise les cercles intellectuels. André Courrèges en fait des Go-go boots, Verner Panton, des fauteuils, Jean-Louis Chanéac, des architectures. Roland Barthes, séduit par la polymorphie du plastique et par ses retentissements démocratiques, ose le qualificatif de « matière magique » : « Malgré ses noms de berger grec, le plastique est essentiellement une substance alchimique. […] D’un côté la matière brute, tellurique, et de l’autre, l’objet parfait, humain ; et entre ces deux extrêmes, rien ; rien qu’un trajet, à peine surveillé par un employé en casquette, mi-dieu, mi-robot. » (dans Mythologies)

D’un revers de manche, le plastique balaie la hiérarchie des matières : on se met à rêver d’un monde tout en PVC, une sorte d’utopie digne d’un Space Opera, où chacun aurait la même maison, ovoïde, avec des hublots – une miniature du Palais Bulles, en somme. Cette frénésie rayonne des sphères créatives jusqu’à la vie courante : dès 1963, date du premier brevet français de la bouteille en plastique, il devient « has-been » de boire dans une bouteille en verre. Ou de consigner sa crème de jour dans un flacon. On aime tellement le plastique qu’on en ingurgite : certains phtalates, comme le DEHP, le dibutyle ou le diéthyle, entrent dans la composition des parfums et des cosmétiques. Le microplastique, servi en « microbilles », devient l’arme secrète des soins exfoliants.
Mais l’utopie vire à la dystopie. La cité idéale de Chanéac se métamorphose en « vortex de déchets » quand, en 1997, le skipper américain Charles J. Moore découvre dans le Pacifique Nord une masse tentaculaire de résidus plastifiés flottant sous la surface de l’eau. Bien que recyclable ou valorisable énergétiquement, le plastique est encore rejeté à près de 36% en France aujourd’hui. Aussi, les fameuses microbilles exfoliantes – bien trop fines pour être filtrées - finissent leur course dans les océans, où elles sont ingérées par des organismes vivants. Tout aussi courus par l’industrie cosmétique, les phtalates perturbent la fertilité et menacent le bon déroulement des grossesses. 
Créé par l’homme, pour l’homme, le plastique en menace désormais l’équilibre. L’arroseur est arrosé de plus de 300 millions de tonnes de polymères par an, soit 10 000 kilos par seconde : brosses à dents, bouteilles de shampoings, pots et tubes de soins… La part du secteur cosmétique est dantesque. Preuve qu’on peut être beau sans PVC, la recrudescence du bioplastique, fabriqué à partir de ressources renouvelables (maïs, patate douce, blé, etc.), ouvre de nouveaux horizons. Aujourd'hui néanmoins, certains cosmétologues privilégient les matières d'origine naturelle pour leurs emballages, car les risques de migration du plastique (même bio) demeurent irréductibles : après être passées par la case polymère, nos crèmes et huiles en porteront nécessairement l'empreinte. À partir du 1er janvier 2018, les gommages et gels douche contenant des microbilles de plastique ne pourront plus être commercialisés. Leur substitut ? Des exfoliants à base de coquilles de noix, noyaux d’abricot et autres ingrédients naturels aux vertus millénaires. Soixante ans après Barthes et sa mythologie du plastique, les recettes ancestrales re-deviennent geste citoyen. La nature est l'ultime alchimie, la seule formule magique qui soit.
 

Mathilde Berthier

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